samedi 16 décembre 2017

Les sablés, entre spéculatif et opératif ;-)

J'hésite d'abord à utiliser ces deux mots, spéculatif et opératif, parce qu'ils sont largement utilisés dans des cercles... disons philosophiques.
En outre, les utiliser d'emblée risquerait de tourner au cliché.


Partons donc de quelque chose de simple, de concret : la cuisine. Et, mieux encore, d'un mets populaire, à savoir un poulet rôti.

Il est vrai que l'on peut discuter ce poulet rôti du point de vue de sa production. Il y a des gestes à effectuer pour l'obtenir : prendre un poulet, le tuer, le plumer, le vider, le rôtir. On effectue des opérations, et la description est donc opérative.
Malgré nos cercles philosophiques, conservons le mot, puisqu'il s'impose dans notre langue.

Cela dit, il y a aussi un "commentaire" du poulet rôti qui discuterait les conditions de sa production.
Par exemple, on peut essayer de comprendre ce qui se passe quand on rôtit un poulet. Cette fois, il y a de l'analyse, laquelle peut déboucher sur de l'opératif, des modifications des recettes. Par exemple, si l'on analyse la question de savoir si l'ajout de matière grasse ou de jus sur les suprêmes en cours de cuisson fait ces derniers plus tendres, alors on peut arriver à des modifications de la "recette" : si l'ajout contribue à la tendreté, et dans l'hypothèse où cette dernière est souhaitable, alors on fera l'ajout ; sinon on ne le fera pas (pourquoi faire quelque chose d'inutile).
Dans cette seconde démarche, est-on "spéculatif" ? En latin, la vitre et le miroir sont respectivement specularia et speculum. Le speculator est l'observateur. On ne participe pas à l'opération, mais on la considère.
Est-ce le rôle de celui qui explore des mécanismes de phénomènes ? Est-il simplement un observateur ? Admettons-le temporairement : cela nous conduit à conserver le terme "spéculatif" pour désigner le second type de commentaires.

Le sol sur lequel nous voulions avancer étant affermi, nous voyons que la cuisine peut être abordée d'un point de vue opératif, ou d'un point de vue spéculatif. Et il apparaît - c'est une donnée d'expérience, pas une donnée absolue, mais une donnée à valeur statistique - que nombre de nos "amis" (j'entends par "ami" ceux à qui nous parlons, puisque je propose de ne pas perdre de temps à parler à nos ennemis, conformément à la sentence alsacienne qui dit que, pour manger avec le diable, même une longue fourchette ne suffit pas) sont peu intéressés par les commentaires spéculatifs, ou, inversement, peu intéressés par les commentaires opératifs.

Cela dit, leur intérêt initial importe peu : si la synthèse, la réunion des deux commentaires, se révélait plus "utile" que les points de vue séparés, n'aurions-nous pas intérêt à (1) chercher un moyen de réunir ces points de vue et (2) chercher à montrer à nos amis que cette synthèse est une voie vers laquelle ils gagneraient à aller ?

Pour le (1), c'est ce que j'avais cherché à faire, il y a longtemps, avec mon livre "Révélations gastronomiques" (Belin, Paris, 1997)... mais depuis sa parution, et malgré les encouragements de quelques amis, je reste dans l'idée que la fusion n'a pas été comme on pourrait le souhaiter : le livre est difficile à utilise du point de vue opératif (même si, je le répète, certains amis l'ont largement utilisé), et la "spéculation" est un peu désincarnée, séparée, isolée ; elle apparaît comme gênante, dans la marche opérative.
Une autre tentative remarquable est celle de Madame Saint Ange, avec sa Bonne Cuisine, publiée en 1925 aux éditions Larousse. C'est un livre étonnant, qui sépare bien les parties opératives et spéculatives... mais les sépare. La fusion n'est pas faite.


Il faut donc nous lancer dans une entreprise nouvelle, où nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle, conformément à celle que je réclamais déjà de mes voeux dans mon livre Les précisions culinaires (Quae/Belin, Paris, 2012).
Raisonnons. D'abord, il y a un objectif que nous devons identifier clairement : le poulet rôti, par exemple. Cet objectif étant défini, on peut chercher les moyens de l'atteindre, en passant (pardon pour les termes militaires) par stratégie, d'abord, puis tactique ensuite.
Puisque la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, il faudra que les trois aspects soient discutés à chaque étape. Et, pour couronner la chose, pourquoi ne pas proposer une évaluation, laquelle sera la possibilité de progresser, selon la bonne idée du chimiste Michel Eugène Chevreul "Il faut tendre à la perfection avec efforts sans y prétendre" ?


Essayons, avec une recette simple, de sablés.

Objectif : produire de petits gâteaux sablés.

Analyse de l'objectif : des gâteaux sont des préparations faites de farine, de sucre, au minimum, comme chacun sait. Cela dit, le sucre et la farine ne peuvent, une fois cuits, que faire une poudre, qui n'aura pas de liant. Pourquoi ne pas ajouter de l’œuf ? Ce serait mieux, mais la préparation resterait dure : avec un peu de matière grasse, cela ira bien mieux.
Avec ces première analyse, on obtient un résultat qui a du sens, car le sucre est de l'énergie immédiatement disponible, la farine de l'énergie disponible durablement, l’œuf apporte des protéines qui nous constituent, et la matière grasse s'impose pour constituer notre organisme. Les sablés sont donc des friandises nutritionnellement intéressantes.
Cela étant, les sablés doivent être sablés. Or l'eau apportée par l’œuf (un blanc d’œuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines ; un jaune, c'est 50 pour cent d'eau, 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides) risque de cimenter excessivement la farine, l'eau participant à la formation d'un réseau de protéines nommé "gluten".
Pour conserver le caractère sablé, friable, il faut mettre la farine dans la matière grasse, frotter pour obtenir un sable, ajouter le sucre, qui captera l'eau au détriment du gluten, puis ajouter enfin l'oeuf, qui fera la "soudure" par capillarité, avant cuisson, et coagulation des protéines après cuisson.
Nous avons donc la stratégie. La tactique ? Cela pourrait être le détail des proportions... et là, tout est possible ou presque. Avec des raffinements : par exemple, si l'on grille par avance la farine, ses protéines ne pourront plus faire le réseau de gluten, et le sablé sera friablissime, si l'on peut dire. Une pincée de sel, d'autre part, rehaussera le sucré, affaiblissant l'amer qui pourrait résulter du grillage. Le beurre ? A volonté. De la vanille ? Pourquoi pas. De la cannelle ? Pourquoi pas.
Et ainsi de suite... pour arriver à une proposition : 200 grammes de beurre, 75 grammes de sucre glace, 1 gramme de sel, 1 oeuf entier, 250 grammes de farine.

Ou plus opérativement :
Commencer par griller sous le gril du four 250 grammes de farine jusqu'à ce qu'elle soit blonde. La laisser ensuite refroidir.
Puis, dans une terrine, mettre 200 grammes de beurre.
Ajouter 75 grammes de sucre glace.
Et les 250 grammes de farine grillée refroidie.
Ajouter 1 gramme de sel.
Puis quand toute ces poudres ont été bien amalgamées au beurre, ajouter un œuf, et l'incorporer sans trop travailler.
Abaisser et cuire pendant une dizaine de minutes, de sorte que l’œuf coagule (la durée de cuisson dépend de l'épaisseur des sablés.



A ce stade, la discussion n'a été presque que technique, à l'exception de l'observation nutritionnelle, mais on a manqué toute la partie artistique (par exemple, la pincée de cannelle), et toute la partie de lien social (par exemple, le découpage de la pâte en forme de coeurs, avant la cuisson). Mais c'est sans doute quelque chose qui dépasse ma compétence... et je vous invite à contribuer à l'amélioration de nos sablés en mettant vos commentaires... qui contribueront à l'évaluation envisagée initialement !



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Il faut le dire et le redire : la recherche scientifique n'est pas réduite à l'expérimentation ; il faut du calcul. Quel bonheur !

Une discussion, aujourd'hui, à propos  des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique). 

La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :

"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ? 



On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant : 

1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier

2. caractérisation quantitative du phénomène

3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"

4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois

5. recherche d'une prévision théorique testable

6. expérience pour tester la prévision

J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature. 

Finalement, peut-on donc se passer d'équations ? 

Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup  d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations. 

Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules  particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur. 

Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles  que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière. 

La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient. 

Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs. 



Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ? 









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les doctorants ne sont pas des étudiants, mais de jeunes scientifiques


Alors que nos écoles doctorales s'ingénient à rigidifier les  systèmes administratifs, multipliant les comités de thèse, les rendez-vous doctoraux, etc., il n'est pas mauvais de s'interroger sur les raisons qui conduisent à ces changements. 
Oui, il faut éviter le cas où des doctorants seraient livrés à de très  mauvais directeurs de thèse, en maillant un peu le système, en éviter le face à face désastreux d'un doctorant et d'un directeur de thèse médiocre ou nuisible.
Oui, il faut éviter le cas où des directeurs de thèse seraient face à de très mauvais doctorants, ce qui pourrait mettre leur groupe de recherche en péril. Oui, il faut éviter…

Mais on n'oubliera pas :
1. que les « mauvais élèves » (mauvais doctorant, mauvais directeur de thèse, et, plus généralement, toute personne malhonnête, paresseuse, autoritaire…)  se font une spécialité d'échapper aux lois qu'on fait précisément pour lutter contre leurs agissements nuisibles ;
2. que la France est un pays où  la lourdeur administrative est considérable, au point que le grand chimiste Pierre Potier avait proposé  de toujours supprimer trois comités (il les nommait des « comités Théodule ») quand on en introduisait un nouveau, sous peine de se trouver enseveli sous une montagne de lois, de règles, de prescriptions impossibles à connaître et à appliquer ;
3. surtout, que les thèses en mathématiques se font très bien sans tous ces systèmes administratifs encombrants, au point que l'école française est reconnue dans le monde : le directeur de thèse donne un sujet au doctorant, qui travaille dans son coin, sans parfois même rencontrer son « directeur », produisant de son côté, créant des objets nouveaux…

On m'objectera que les mathématiques ne  sont pas une science de la nature, une science où l'expérimentation est importante, et cela est vrai, mais je  répondrai aussi que  les doctorants ne sont plus des étudiants : oui, j'insiste pour être bien clair : les doctorants, même si on leur accorde une carte d'étudiants qui leur fait avoir divers avantages – restaurant universitaire, musées à prix réduit, etc.-, ne sont plus des étudiants ; cela est un statut reconnu nationalement et internationalement. De sorte que c'est une erreur que de les mettre dans une position d'étudiants. Donnons leur la liberté  de produire leur propre science, et mettons les directeurs  de thèse au service de leur recherche. Favorisons la créativité, au lieu de produire des assistés, portés difficilement par des structures qui s'alourdissent de jour en jour.


Bref, allégeons les processus ! Faisons grandir nos amis !

















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Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? Vous n'en croirez pas vos yeux ni vos papilles

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? 


La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.

Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ? 


Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et  non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.

Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut  aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.

Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
 Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau. 


Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
 La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...

De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.

Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Ce matin, un groupe d'élèves me contact pour avoir des informations sur la cuisine note à note.

Je me réjouis, tout d'abord, car ces élèves sont de ceux qui ont compris que la cuisine moléculaire est dépassée, et que c'est la cuisine note à note qui sera présente demain.
Mais il faut que je leur réponde, et voici leur message : 

Nous souhaiterions réaliser une viande "note à note". Nous avions trouvé une recette qui s'en approchait légèrement : le Dirac qui se trouve sur youtube, mais nous n'avons pas de renseignements sur la quantité et les ingrédients utilisés. 


La première des questions est : qu'est-ce que la "viande" ? Il peut y avoir une définition du dictionnaire, une définition réglementaire... Par exemple, pour le TLFi, la première définition est " Aliment dont se nourrit l'homme; nourriture quelconque", mais c'est une définition dépassée, et l'on conservera donc plutôt :
"Chair comestible d'un animal".

Or la cuisine note à note est une cuisine de synthèse, qui n'utilise pas les ingrédients classiques que sont les viandes, poissons, légumes, fruits... mais des composés.
Une "viande note à note", c'est donc impossible ! Aucune construction note à note ne sera jamais une viande, et aucune viande ne peut faire de cuisine note à note !

Les diracs, dans cette affaire ? C'est parce que je copiais la composition moléculaire des viandes, avec environ 75 pour cent d'eau et 25 pour cent de protéines que j'ai cherché un nom qui ne soit pas "viande" : on se rappelle que le commerce des denrées alimentaires doit être loyal ; ce qui est de la viande est de la viande, et ce qui n'en est pas n'en est pas.
Bref pour mes reproductions de viande (reproduction de viande du seul point de vue de la composition), j'ai introduit le nom de "dirac". D'ailleurs, je discute tout cela dans un article dont je vous conseille la lecture : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2016-6-note-de-recherche-what-can-artificial-meat-be-note-note

Faire un dirac ? Rien de plus simple : dans un récipient, mettre une cuillerée à soupe de protéines, trois cuillerées d'eau, une rasade d'huile, des colorants, des composés sapides et odorants, éventuellement des vitamines, des oligo-éléments... Et cuire comme un steak, à la poêle.

On obtient comme un steak, mais ce n'est pas de la viande : c'est un dirac... et quand c'est bien fait, c'est TRES BON !










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Dans un débat avec des amis des sciences de l'humain et de la société, j'ai été confronté à l'expression "sciences exactes" : la terminologie est de mes amis, et pas de moi, qui ait décidé de ne parler que de sciences de la nature, dont j'exclus les mathématiques, puisqu'elles sont d'une autre nature, même si demeure ce grand débat entre mathématiques découvertes et mathématiques inventées.


Sciences exactes ? Je propose de ne pas confondre le savoir (ou prétendu tel, surtout en matière de sciences) et la recherche du savoir, à laquelle je propose de réserve le nom de science. La science, dans cette définition, est donc la recherche de savoir.

Sciences exactes ? Il me semble qu'il y a là une difficulté de même nature que dans "sciences humaines", à savoir un emploi ambigu de l'adjectif.
Commençons par  "sciences humaines"  : c'est un pléonasme, car la science est une activité de l'être humain, et de nul autre espèce. Généralement, ce pléonasme est une périssologie. Sciences de l'homme ? C'est mieux, mais la femme ?
Sciences exactes ? Cela voudrait indiquer que certaines activités de recherche du savoir sont "exactes" ? Que serait donc une activité exacte ? Selon le TLF (le seul qui vaille), le terme "exact" signifie "Conforme aux règles prescrites, aux normes, à la convenance, aux usages, qui s'y conforme".

Nos amis des SHS qui parlent de sciences exactes pour les sciences de la nature voudraient-ils alors dire que leur propre activité n'est pas conforme à leurs propres règles ? Qu'elles ne suivent aucune norme ?
Je croyais pourtant -on me l'a assez répété- que les historiens avaient leur méthode, tout comme les sociologues, ou les géographes ? Les philosophes ?

Laissons-les de côté, afin de ne pas compliquer un débat qui n'est déjà pas parfaitement clair (quelle méthode commune entre Héraclite, Platon, Nietzsche ou Meyerson ?).
Pour les sciences de la nature, oui, il y a des canons, lentement élaborés, et qui se retrouvent aujourd'hui dans la structure des publications scientifiques, qui collent à la description que je propose (et qui n'a toujours pas été réfutée ou critiquée), à savoir :
- observation d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données quantitatives en lois synthétiques
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois
- recherche de prévisions expérimentales testables
- test expérimental en vue d'une réfutation de la théorie proposée
- et ainsi de suite.

Toutefois, cette conformité des sciences de nature ne peut conduire les scientifiques de la nature (on voit que je distingue la science et ceux qui la font, sans quoi on tombe souvent dans des erreurs terribles) à prétendre à l'exactitude de leurs descriptions du monde, pas plus que les sciences de la nature ne prétendent à la description exacte du monde, et encore moins à la "Vérité" !
Il faut user d'une rhétorique vraiment nauséeuse, détestable -celle de l'homme de paille- pour le faire penser.



Bref, je propose que nous abandonnions tous l'expression "sciences exactes".
Pour les sciences de la nature, je propose que nous utilisions l'expression "sciences de la nature" ou "sciences quantitatives", à moins qu'une nouvelle expression reste à inventer ? 


















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Une amie m'interroge :

Comment faire des sucettes salées, notamment pour les personnes qui sont nourries par une sonde, et qui n'ont plus le plaisir du goût ?



Les chewing-gum seraient une solution, mais il y a le risque d'avaler, et ce serait désastreux pour les personnes qui ont été opérées d'un cancer de l'oesophage. Les sucettes, elles, ne présentent pas cet inconvénient.

Analysons, donc. Une sucette, c'est du sirop qui a été "vitrifié", parce qu'on la refroidit rapidement. La viscosité a alors augmenté considérablement, de sorte que les molécules de sucre n'ont plus la possibilité de migrer dans le matériau, et de former des cristaux, par un empilement régulier.

C'est donc un verre que l'on doit proposer aux personnes qui doivent seulement avoir du goût. Un verre ? Pour l'obtenir, il faut un système visqueux... tel celui d'un blanc d'oeuf ou d'un gel de gélatine que l'on fait sécher. Oui, les feuilles de gélatine sont transparentes, vitreuses, et les blancs d'oeufs que l'on fait  sécher se transforment en des feuilles craquantes et jaunes. Dans les deux cas, la réhydratation reforme la solution, en libérant lentement les protéines.

Ces verres n'ont pas de goût... mais qu'à cela ne tienne : il suffit d'en mettre.
Par exemple, imaginons qu'on mette un arôme alimentaire dans un blanc d'oeuf que l'on fait sécher. Ou bien en faisant sécher un aspic. On obtient alors le goût que l'on veut.
Tiens, une recette : faisons un coq au vin, et prenons la sauce ; ajoutons-lui des protéines (poudre de blanc d'oeuf, gélatine, protéines végétalees) ; faisons sécher. On obtient un verre qui a le goût de la sauce initiale.


J'avais en réalité proposé cette invention il y a longtemps, et j'avais proposé à mon ami Pierre Gagnaire de faire ainsi des "verres de vin", dont on trouvera la recette sur son site : http://www.pierre-gagnaire.com/#/pg/pierre_et_herve/travaux_precedents/24







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