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samedi 2 décembre 2023

Porc à l'ananas

 Ce matin, une demande : 


Je me souviens d'avoir vu il y a plusieurs années une émission que vous animiez en cuisine et plus particulièrement de la cuisson du porc à l'ananas. 
Je n'arrive pas à retrouver ces précieux renseignements. 


Et voici le retour
 
Oui, dans une émission intitulée Toques à la loupe, je faisais l'expérience d'attendrir du rôti de porc avec du jus d'ananas frais (j'insiste sur le "frais") : en effet, l'ananas frais contient des enzymes protéases (broméline) qui ont donc, comme l'indique le qualificatif "protéase", la capacité de dégrader les protéines, notamment les protéines de la viande. 
 
Et pour bien montrer cet effet j'injectais du jus d'ananas frais dans le rôti de porc, à la seringue, et je laissais la viande ainsi pendant une nuit. Le lendemain, la viande était comme une sorte de terrine, à l'intérieur. 
D'ailleurs, à côté, j'avais fait tremper un morceau de viande dans du jus d'ananas, et il était ensuite complètement défait. 

A noter que l'on peut faire la même chose avec des jus de papaye, de figue, par exemple. Et surtout, bien penser que la chaleur dégrade les enzymes protéases, de sorte que l'effet ne pourra pas se produire.

dimanche 13 août 2023

Comment faire une gelée d'ananas ?

 
Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. 

D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ? Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 

C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c 'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé 

Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. 

Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraguénanes... 

De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental. La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées.

mercredi 9 mai 2018

Il y a les protéines thermocoagulantes, et les autres

Les protéines sont variées. Toutes ont des molécules faites par des successions de résidus d'acides aminés, mais leurs "activités biologiques" sont variées.
Ainsi, il y a les enzymes,  qui sont comme des "ouvriers moléculaires", capables de modifier d'autres composés ; pensons aux enzymes polyphénoloxydases qui, libérées en présence polyphénols quand on coupe un végétal, conduisent à l'apparition de produits brun foncés.  Mais il y a aussi des "canaux membranaires" : dans les membranes des cellules vivantes, des protéines s'associent pour ne laisser entrer ou sortir que certains composés. Récemment, par exemple,  des chimistes ont exploré les aquaporines qui permettent aux molécules d'eau d'entrer ou de sortir des cellules vivantes. Et puis il y a aussi des protéines de stockage, des protéines antibactériennes, tel le lysozyme du blanc d'oeuf, ou encore des protéines "constitutives", tel le collagène, qui fait les tissus conjonctifs, ce ciment des cellules animales des tissus musculaire.

Mais ces différentes catégories sont  fonctionnelles au sens de la biologie, pas de la cuisine. En cuisine, c'est en quelque sorte plus simple : il y a des protéines capables de coaguler à la chaleur, et d'autres qui ne coagulent pas.
Par exemple, l'ovalbumine, dans le blanc d'oeuf, est "thermocoagulante", alors que la gélatine, qui est la forme un peu dégradée du collagène, ne coagule pas à la chaleur... mais peut s'associer en un réseau de gel, à froid.
D'ailleurs on doit ajouter que certaines protéines qui ne coagulent pas à la chaleur (pensons à des caséines, par exemple) peuvent néanmoins "cailler", par exemple, en milieu acide, ou bien en présence d'enzymes telles que la chymiosine de la présure (pour la confection des fromages).

Pour la cuisine note à note, ces dernières distinctions sont celles dont on aura besoin, par exemple pour faire des "diracs" (voir les billets qui leur sont consacrés).
Pour les émulsions ou les mousses, en revanche, la question  est plus facile, comme le montre l'exemple des "würtz", ces mousses que l'on obtient en fouettant un liquide où l'on a ajouté de la gélatine. Certes, toutes les protéines n'ont pas les mêmes propriétés de moussabilitié, mais je répète que la question se pose moins.

Vive la cuisine note à note !

jeudi 14 décembre 2017

Une astuce : des feuilles de figuier pour attendrir les viandes ?



Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes. 

Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?

Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.

Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 10 décembre 2017

Comment faire une gelée d'ananas ?


Comment faire une gelée d'ananas ? 

La question se pose à tous ceux qui veulent varier la nature des fruits dans les bavarois ou les aspics. Bien sûr, on peut mettre des pommes, des poires, des fraises, des abricots... Mais puisque l'ananas est un des grands fruits dont nous disposons, on en vient rapidement à vouloir faire une gelée d'ananas... et là, patatras ! Quand on met du jus d'ananas frais (bien plus intéressant que du jus chauffé) avec de la gélatine, la gelée ne prend pas, qu'elle soit ou non mêlée de crème fouettée, de sucre... 

Par hasard, les cuisiniers ont observé que la gelée prend si le jus a été chauffé, mais alors le goût est bien différent, et la fraîcheur de l'ananas est perdue. D'où la question  : comment faire une gelée d'ananas ?

Cette question a traversé les décennies, les siècles, et elle n'a pas eu de solution, parce que la technique n'était pas à même de lui en donner. Comment en aurait-elle eu ? 
C'est à ce stade de blocage que les sciences de la nature s'imposent absolument, pour une saine technologie. Les sciences ont montré que certains végétaux contiennent des enzymes nommées collagénases, ou protéases, qui dégradent les protéines. Or la gélatine qui structure classiquement les gelées est précisément une protéine, de sorte que les enzymes dégradent les protéines qui devraient gélifier. 

La science a identifié que les enzymes sont inactivées par la chaleur : c'est un fait que les protéases chauffées perdent leur capacité catalytique, et cela explique pourquoi on peut réaliser des gelées d'ananas à partir des jus d'ananas chauffé
Comment faire des gelées à partir de jus non chauffé ? L'application de hautes pression est une première solution, car ces pressions dénaturent les protéines, et notamment les enzymes. Mais analysons, si les protéases attaquent les protéines gélifiantes, pourquoi ne pas remplacer les protéines gélifiantes par d'autres composés qui ne seraient pas sensibles aux protéases ? L'exploration du monde a conduit à l'identification de bien d'autres polymères gélifiants que les protéines  : alginates, carraghénanes... De ce fait, on parvient très bien à faire gélifier à partir de ces composés non classiques, non traditionnels pour le monde occidental.
La conclusion est claire : de l'innovation est possible quand les sciences quantitatives, les sciences de la nature, sont utilisées. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)